La Maison du Docteur Edwardes (Alfred Hitchcock, 1945) 🇫🇷

« Raconte-moi tes rêves, je te dirai qui tu es ! »… En voilà un, en tout cas, qu’on ne sera pas prêt d’oublier, tout droit sorti de l’imagination délirante de celui qui prêta au film ses talents de peintre surréaliste, ou plutôt les « monnaya » devrait-on dire, accroché à son surnom d’Avida Dollars en anagramme, j’ai nommé Salvador Dalí !

 Ce rêve constitue la scène clé du film, à partir de laquelle on comprendra mieux pourquoi, sur cette inquiétante affiche, un homme au visage caché, effondré dans les bras de son amante-détective-psychanalyste, tient dans sa main un rasoir.

Hitchcock a donc intégré à la narration la fantaisie onirique extratemporelle que voici : un homme découpe à l’aide de ciseaux géants des yeux vivants incrustés dans les tentures noires d’une salle de jeux, rappelant l’œil tranché du court métrage de Buñuel, Un Chien andalou. Une nymphomane à moitié nue s’approche des tables pour venir embrasser les joueurs. Un barbu (portrait craché de Freud !) est surpris en train de tricher avec de fausses cartes. On le ensuite voit chuter du haut d’un toit, poursuivi par le propriétaire du tripot qui tient une roue réminiscente du tableau des montres molles de Dali.

Un rêve ? Un cauchemar plutôt, bourré de symboles dont l’interprétation interviendra dans une triple résolution : trouver le coupable d’un meurtre, guérir un patient et sauver une histoire d’amour.
C’est le songe d’un homme qui a perdu la raison. Tout au long du film, il flotte un air de folie, renforcée par la musique spectrale de Miklós Rózsa qui utilisera le son envoûtant du « theremine », cet étrange instrument électrique se jouant sans contact physique.

Le malaise s’installe dès le générique où un vent insane dépouille de leurs frêles branches, des feuilles d’automne vacillantes. Hitchcock représente la phobie sous la forme de détails obsessionnels filmés en gros plan, qui à chaque apparition provoquent une crise chez le patient. Ce prétendu Dr Edwardes, nommé nouveau directeur d’un asile psychiatrique, éveille des soupçons quant à son identité lorsqu’il défaillit à la vue de sillons que trace à la fourchette le Dr Constance Petersen sur une nappe blanche. Si l’on est rassuré par la présence d’Ingrid Bergman interprétant cette psychanalyste sérieuse à lunettes, Gregory Peck dérange par sa fragilité troublante. Même panique lorsque surgissent les rayures de la robe écrue de cette dernière (qu’il a bien fini par faire tomber !)…On le voit alors carrément s’évanouir devant les barreaux d’un guichet de gare et tourner de l’œil devant des traces de luge sur la neige.

Qui est donc cet homme qui porte sur son briquet les initiales de J.B ? Est-il vraiment l’auteur de l’ouvrage Le Labyrinthe du complexe de culpabilité emprunté fébrilement par Constance au cours de ses insomnies ? Est-il coupable du meurtre du vrai Dr Edwardes dont il aurait usurpé l’identité ?
Il est taxé de schizophrène par un vieux psychiatre à barbichette, joué par Michael Chekhov, neveu du dramaturge, qui fit la part belle à l’Inconscient dans la vraie vie (en ayant recours, entre autres, à des techniques de yoga dans son travail d’acteur). Dans le film, il est sauvé …par un verre de lait (contenant du bromure) alors que J.B., descendait en somnambule dans sa cuisine, le fameux rasoir à la main. On voit alors la scène du crime avorté à travers le verre bu par le malade, inondant l’image d’un blanc laiteux et emportant ce dernier dans un lourd sommeil sans rêve.

Ce rasoir n’a en réalité tué personne. La vérité est enfouie dans le passé du mystérieux J.B. qui en a verrouillé les portes en devenant amnésique. C’est une femme tout aussi envoutée, au prénom symbolique de Constance, qui en détient les clés et elle parviendra à les ouvrir une à une, avec les méthodes propres à la psychanalyse. Cette enquête sur le divan aura pour fondement ce fameux rêve, aussi « incohérent, confus et absurde » qu’il soit pour reprendre une des définitions de Freud. L’image du barbu tombant du haut d’un toit conduit la psychanalyste à emmener son patient sur le lieu du crime : une pente neigeuse débouchant sur un ravin et les voilà partis tous les deux dans une folle descente à ski (scène criante de trucages bons marchés, on a peine à croire aux sapins verts et au faux vent dans les cheveux !).
L’image qu’on cherchait enfin surgit, qui se superpose aux traces de ski dans la neige : celles des grilles en fer d’un perron où vient s’empaler un enfant poussé par son frère. En s’amusant, John Ballantyne avait bien tué son jeune frère, masquant par l’amnésie son complexe de culpabilité.

Après un ultime coup de théâtre, histoire de nous mener en bateau, Hitchcock nous révèle le vrai coupable qui se tire une balle, colorant en rouge sang le blanc et noir de l’image.

Après cette leçon de psychanalyse (pour les nuls), sauriez-vous interpréter la brève apparition de Sir Alfred Hitchcock, ce caméo où on le voit sortir d’un ascenseur d’hôtel, portant un étui de violon ?
Je vous souhaite d’aussi beaux rêves que cette pépite de film noir à l’affiche envoûtante !

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